réglementation airbnb : les enseignements des arrêts de la cour de cassation du 18 février 2021



Pourquoi la Ville de Paris n'a pas encore gagné son pari judiciaire

Par trois arrêts en date du 18 février 2021, la Cour de cassation est venue préciser et renforcer sa position sur la réglementation des locations meublées touristiques.


Pour rappel, l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation ouvre la faculté aux autorités locales de certaines communes (plus de 200.000 habitants et couronne parisienne) de mettre en place une réglementation des locations meublées de courte durée.

Dans ces cas, une telle réglementation impose à tout propriétaire qui souhaiterait mettre en location, pour de courtes durées et de manière répétée, un local qui ne constitue pas sa résidence principale d’obtenir une autorisation de changement d’usage. En d’autres termes, à partir du moment où le propriétaire choisit d’exercer une location meublée de courte durée dans son local, cette activité est considérée comme commercial est n’est donc pas adaptée à l’usage d’habitation du local concerné.

A Paris, cette autorisation de changement d’usage est subordonnée à une compensation obligatoire par l’achat ou la transformation d’une surface équivalente (ou supérieure, dans les zones très tendues) en habitation ou l’acquisition de commercialité.

Pour les résidences principales, il convient de rappeler que la mise en location meublée sur des plateformes de location saisonnières est possible sans autorisation de changement d’usage dans la limite de 120 nuitées par an.

La Cour de cassation s’est prononcée le même jour sur trois affaires, concernant (1) la conformité du dispositif d’autorisation de changement d’usage mis en place par l’article L.631-7 du Code de la construction et de l’habitation ; (2) la nécessité pour la Ville de prouver avec rigueur l’usage d’habitation du local au 1er janvier 1970 et (3) la définition des notions de location « meublée » et « de courte durée ».

Analyse de chacun des trois arrêts et de leurs apports juridiques et pratiques.

 

1. Cass., Civ. 3ème, 18 février 2021, n° 17-26.156 (Cali Appartments)  : La validité du dispositif de l'article L.631-7 du CCH

Cet arrêt était le plus attendu et en réalité le seul attendu jeudi dernier, car il représente l’apogée d’une bataille judiciaire entre la Ville de Paris et les propriétaires de biens immobiliers qui les ont mis en location meublée touristique sans autorisation préalable de la mairie.

Pour rappel, l’affaire opposait une société (Cali Appartments), propriétaire d’un studio meublé à Paris, qui avait été assignée par l’autorité compétente (aujourd’hui le maire de la commune, à l’époque le Procureur de la République) devant le Tribunal de grande instance de Paris en référé pour qu’elle soit condamnée par à payer une amende civile en raison de locations « de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile » sans avoir sollicité l’autorisation de changement d’usage requise par l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation.

En effet, l’article L. 631-7 offre à certaines communes, notamment les villes de plus de 200.000 habitants et celles de la couronne parisienne, la possibilité de mettre en place une réglementation locale de la location meublée de courte durée afin d’opérer un équilibre sur le marché locatif du territoire concerné.

Plusieurs communes et métropoles se sont emparées de cette possibilité, notamment la Ville de Paris. Ces réglementations imposent à tout propriétaire d’un local à usage d’habitation qui ne constitue pas sa résidence principale de solliciter auprès de la mairie, avant sa mise en location pour de courtes durées, une autorisation préalable de changement d’usage. Une telle autorisation est parfois subordonnée à une opération de compensation des surfaces d’habitation, comme à Paris.

La société a été condamnée en première instance puis en appel à une amende civile en application de l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation. Elle a formé un pourvoi en cassation dans lequel elle alléguait une violation du droit européen : elle estimait le dispositif contraignant comme une restriction injustifiée du principe de la libre prestation de service garanti par le droit communautaire.

La Cour de cassation, par un arrêt du 15 novembre 2018 (n°17-26.156), décide de surseoir à statuer et de poser des questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne.

Par un arrêt du 22 septembre 2020 (C-724/18 et C-727/18), la Cour de justice a confirmé l’applicabilité de la Directive 2006/123 dite « Directive services » à la réglementation française et l’existence d’une raison impérieuse d’intérêt général pour justifier la restriction des propriétaires à leur liberté de jouissance.

Elle a néanmoins laissé le soin aux juridictions nationales, particulièrement à la Cour de cassation, de déterminer si les critères d’octroi de l’autorisation de changement d’usage étaient conformes aux articles 9 et 10 de la Directive service.

La Cour de cassation a donc, le 18 février 2021, clôturé cette affaire de plus de cinq ans par une décision sur la conformité des articles L. 621-7 du Code de la construction et de l’habitation.

D’abord, elle confirme la position de la Cour de justice concernant la justification du régime d’autorisation par une raison impérieuse d’intérêt général tenant à la protection du marché locatif traditionnel tout en répétant que ce régime d’autorisation était adapté et proportionné à l’objectif poursuivi.

Ensuite, elle précise ce que la Cour de justice n’avait pas approfondi, concernant les critères d’octroi des autorisations de changement d’usage et la compensation, notamment à Paris.

Sur les exigences d’objectivité et de non-ambiguïté des critères de détermination de l’article L. 631-7, elle vient préciser les notions de « courte durée » et de « manière répétée » afin d’éclaircir les conditions dans lesquelles l’autorisation de changement d’usage devient nécessaire.

A ce titre, elle précise que :

-       La notion de répétition doit s’entendre de locations au nombre d’au moins deux dans l’année (une seule « répétition » suffit) ;

-       La notion de courte durée doit s’entendre de toute location inférieure à un an, à l’exception de la location à un étudiant pendant neuf mois, d’un bail mobilité d’un à dix mois ou de la location d’une résidence secondaire dans la limite de 120 jours dans l’année. Cela renvoie aussi bien à la location au jour qu’à la location à la semaine ou même au mois.

Ainsi, elle vient préciser les critères tout en validant le dispositif qui, selon elle, est conforme aux exigences d’objectivité et de clarté imposées par le droit européen.

Par ailleurs, elle valide l’ensemble des exigences de clarté, non-ambiguïté, objectivité, publicité, transparence et accessibilité sans plus détailler l’ensemble des critères.

Elle note toutefois que la compensation, telle qu’elle est envisagée dans le dispositif parisien, est particulièrement justifiée au regard des objectifs de mixité sociale, en fonction des caractéristiques locales du marché locatif.

La Cour de cassation note à cet égard que l’obligation de compensation « répond effectivement à une pénurie de logement » et à une « raréfaction du marché locatif traditionnel contraignant les habitants à s’éloigner pour trouver un logement ». Elle va encore plus loin en validant le dispositif de compensation renforcée, qui impose aux propriétaires de compenser par une surface plus importante que celle utilisée pour la location meublée touristique, et constitue donc une contrainte supplémentaire pour les propriétaires qui peinent déjà, en pratique, à acquérir de la commercialité ou à compenser. Sur ce point, elle fait référence à la rentabilité accrue de l’activité de location meublée touristique face à l’objectif prioritaire de préservation de l’habitation dans les zones tendues.

L’apport de cette jurisprudence est donc en réalité double : elle vient valider le dispositif de l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation tout en prenant soin de préciser la notion de répétition de la location et de la « courte durée ».

Cette décision est particulièrement stricte, car elle ne laisse aucune place à l’argumentation qui avait été avancée par les sociétés dans cette affaire et restreint encore davantage la liberté de propriétaires de jouir de leur bien.

La Ville de Paris n’a, néanmoins, pas gagné la guerre, mais seulement une bataille : si le dispositif, dans son principe, a été validé tant par les juridictions françaises que par la Cour de justice de l’Union européenne, la Ville de Paris devra toujours, pour chaque affaire, démontrer un certain nombre d’éléments de démonstration au soutien de sa demande de condamnation.

Car c’est bien le juge, et non la Ville, qui fixe le montant de l’amende. Ce dernier prend en compte, sur ce point, un certain nombre d’éléments et ne pourra condamner un propriétaire sans la preuve rigoureuse par la Ville de Paris que le local était à usage d’habitation au 1er janvier 1970 et que le bien a été loué hors des cadres légaux.

Par ailleurs, les propriétaires disposent toujours de moyens pour se défendre, déjà soulevés avant la péripétie européenne et le gel des procédure, tels que leur coopération, l’absence d’enrichissement, la bonne foi et l’arrêt immédiat de la location de courte durée par la mise en vente ou la remise sur le marché locatif traditionnel.

 

C’est d’ailleurs sur l’un de ces moyens de défense que la Cour de cassation est venue confirmer et renforcer sa position, faisant échec à la demande de condamnation de la Ville de Paris en raison d’un défaut de preuve de l’usage à la date du 1er janvier 1970.

 

2. Cass., Civ. 3ème, 18 février 2021, n°19-13.191 : Sur la précision de la Cour de cassation de la notion de courte durée

Une nouvelle fois, il s’agit d’une affaire dans laquelle les propriétaires d’un local à usage d’habitation, à Paris, ont été assignés par la Ville de Paris pour qu’ils se voient condamnés au paiement d’une amende civile en application de l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation.

Ils avaient mis en location leur appartement à deux reprises dans l’année, pour des périodes de quatre et six mois.

La demande de la Ville de Paris avait été rejetée en première instance et en appel, le juge n’acceptant pas de retenir l’argumentation de la Ville de Paris selon laquelle la notion de courte durée englobait toute location inférieure à un an (ou à neuf mois pour un bail étudiant). Ainsi, le rejet de la courte durée entrainait l’absence de mise en œuvre de l’article L. 631-7, qui ne concerne que les « locations de manière répétée pour de courtes durées », et donc l’absence d’obligation de changement d’usage.

La Cour de cassation, saisie par un pourvoi, a sursis à statuer en attente de la décision de la Cour de justice et de l’arrêt de la Cour de cassation qui en découlerait dans l’affaire Cali Appartments.

La question était donc, en l’espèce, de savoir si la location, à deux reprises au cours de la même année pour des durées de quatre et six mois, d’un local à usage d’habitation constituait un changement d’usage en application de l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation.

La réponse de la Cour de cassation est celle qui a également été retenue dans l’affaire précédente, avec une vision particulièrement stricte et restrictive de la notion de « courte durée » et de « répétition ». Ainsi, deux locations en moins d’un an, peu importe la longueur de ces locations (qui pourraient donc être de deux fois six mois) constituent un changement d’usage car elles impliquent la répétition.

Peu importe ici la notion de durée en finalité, puisque la présence de deux locations par an entraîne automatiquement et sans considération pour leur durée, le changement d’usage. Deux locations en moins d’un an dureront chacune nécessairement moins d’un an, question de pure logique mathématique. Ainsi, des locations que l’on pourrait qualifier de « moyenne durée », de plusieurs semaines ou moins, seraient traitées de la même manière que l’activité particulièrement rentable de location meublée touristique à la nuitée…

Cette interprétation soulève par ailleurs une autre question, relative à la résiliation d’un bail qui était originellement conclu pour un an. Imaginons par exemple un bail signé pour un an, que le locataire résilie au bout de huit mois pour un déménagement : cela signifierait-il que le propriétaire ne peut louer le bien meublé sur le reste de l’année, sous peine de devoir solliciter un changement d’usage ?

Cette interprétation doit, néanmoins, selon notre avis, être écartée dans la mesure où l’article concerné renvoie lui-même à la notion de « clientèle de passage qui n’y élit pas domicile » : dans le cas d’un locataire « classique » (et non touristique), ce dernier élit domicile, même pour quelques mois, dans l’appartement concerné.

Sur un autre plan, on notera le nombre assez important d’exclusions de cette interprétation. On comprend aisément l’exception relative à la location pour moins de 120 jours de la résidence principale, qui est totalement logique, et celle de la location étudiante pouvant être réduite à neuf mois.

En revanche, la question du bail mobilité pose question. Dans cet arrêt, la Cour de cassation retient qu’en dehors du bail de mobilité (conclu pour une durée d’un à dix mois), toute location inférieure à un an constitue une location de courte durée. Il convient de rappeler, à cet égard, que le bail mobilité a été instauré par la loi n°2018-1021 du 23 novembre 2018, et n’est donc applicable que depuis le 25 novembre 2018.

La mise en place du bail mobilité entre le début de l’affaire concernée et l’arrêt de la Cour de cassation après son sursis réduit donc la portée de cet arrêt : en effet, après exclusion du bail mobilité conclu pour un à dix mois, et hors cas de commerce de location touristique de type Airbnb (à la nuitée), on a du mal à envisager quelles seraient les hypothèses dans lesquelles un juge retiendrait un changement d’usage pour une location de « moyenne durée » répétée.

Néanmoins, on retiendra une position plutôt stricte et générale de la Cour de cassation qui mériterait d’être approfondie et étudiée à l’occasion de cas d’espèces devant les juges du fond.

 

3. Cass., Civ. 3ème, 18 février 2021, n°19-11.462 : Sur le rappel strict de la Cour de cassation de la démonstration du changement d'usage au 1er janvier 1970.

Cet arrêt, rendu le même jour que les deux précédemment commentés, a une portée symbolique mais n’apparaît pas comme une révolution jurisprudentielle. En effet, il s’agit de la confirmation et du renforcement d’une position que la Cour de cassation avait déjà affirmé en 2019.

Dans les faits, il s’agit une nouvelle fois d’une société qui avait été assignée par la Ville de Paris aux fins de la voir condamnée au paiement d’une amende civile en application de l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation.

Au soutien de ses prétentions et pour établir l’usage d’habitation du bien concerné, la Ville de Paris fournissait deux éléments : une déclaration foncière de type habitation (communément appelée H2) et un relevé cadastral ne mentionnant aucun travaux entraînant modification de l’usage d’habitation de l’immeuble.

La Cour d’appel avait validé les éléments de la Ville de Paris et retenu le changement d’usage illégal du local, en condamnant la SCI à une amende civile. La Cour de cassation casse et annule cet arrêt pour défaut de base légale en considérant qu’elle n’aurait pas dû retenir d’une déclaration postérieure au 1er janvier 1970 et d’un simple relevé cadastral la preuve de l’usage d’habitation de l’immeuble au 1er janvier 1970.

Ainsi, la Cour de cassation pose des exigences relativement élevées sur la preuve que la Ville de Paris doit apporter pour établir l’usage d’habitation au 1er janvier 1970 et donc pour déclencher le mécanisme de l’autorisation de changement d’usage.

En effet, elle rejette non seulement la déclaration datée de 1978, mais également le relevé cadastral qui ne mentionnait une absence de travaux postérieurement au 1er janvier 1970. Elle considère que ces éléments ne suffisent pas à démontrer l’usage à la date du 1er janvier 1970, comme l’exige l’article L. 631-7 du Code de construction et de l’habitation.

Cet arrêt constitue en réalité une confirmation d’un arrêt de la même chambre en 2019 (Cass. Civ. 3ème, 28 novembre 2019, n°18-24.157). La Cour de cassation, par une application stricte de l’article L631-7 du Code de la construction et de l’habitation a rejeté le pourvoi en considérant que la déclaration H2 datée de 1980 n’était pas un moyen de preuve de l’usage du local au 1er janvier 1970 : « la déclaration H2 déposée le 21 octobre 1980 ne prouvait pas que l’appartement en cause était à usage d’habitation au 1er janvier 1970 ».

La Cour de cassation exige donc de la Ville de Paris une particulière rigueur sur la démonstration de l’usage du local au 1er janvier 1970. En pratique, il n’existe dans les dossiers concernés par cette problématique aucune déclaration H2 qui soit précisément datée du 1er janvier 1970, ce qui pourrait en principe conduire à un rejet systématique de toutes les demandes de la Ville de Paris.

Il appartiendra donc à la Ville de Paris de prouver cet usage d’habitation du local concerné au 1er janvier 1970 avec d’autres éléments. Ainsi, toute déclaration ultérieure au 1er janvier 1970 (en l’espèce, en 1978) est susceptible d’être rejetée, ce qui permettrait potentiellement d’éviter le déclenchement de l’article L. 631-7 et le prononcé d’une amende civile.

Une interprétation stricte de la décision de la Cour de cassation pourrait nous amener à conclure à l’exclusion de l’ensemble des déclarations H2 dans le cadre des procédures diligentées par la Ville de Paris, ce qui diminueraient considérablement la force de leur argumentaire et pourrait conduire au rejet de certaines demandes.

En définitive, si la Cour de cassation entérine le dispositif de l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation et la réglementation parisienne, elle rappelle la rigueur avec laquelle la Ville de Paris est dans l’obligation de prouver les conditions à réunir afin de faire condamner un propriétaire qui n’aurait pas sollicité d’autorisation de changement d’usage.

Par ailleurs, si la Ville de Paris parvient à prouver les conditions d’application de l’article L. 631-7, les propriétaires peuvent toujours apporter des éléments au soutien de leur défense, tenant notamment à leur bonne foi et leur coopération, ainsi qu’à leur transparence dans la communication des relevés de location.

 

 

 


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