interdiction de la courte durée en copropriété et débat constitutionnel



Vers une potentielle ouverture du débat constitutionnel de la loi le meur

Compte tenu de l'essor du phénomène des locations de courte durée de type Airbnb, la loi n° 2024-1039 du 19 novembre 2024, dite Le Meur, modifie en son article 6 les modalités d’interdiction du meublé de tourisme au niveau de la copropriété. Celle-ci offre désormais la possibilité aux copropriétaires d’intégrer au sein de leur règlement de copropriété une clause interdisant le meublé de tourisme dans les lots à usage d’habitation qui ne représentent pas la résidence principale de l’occupant sans recueillir l’unanimité des voix.

Interrogé sur la constitutionnalité de l’article 26 alinéa 5 et 6 de la loi du 10 juillet 1965 par le Cabinet DEMEUZOY AVOCATS, le Tribunal Judiciaire de Caen a procédé en date du 24 septembre 2025 à la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation.

 

I)               Les raisons de la question prioritaire de constitutionnalité

Le précédent de la loi ALUR – Précédemment, l’article 19 de la loi dite « ALUR » du 24 mars 2014, qui permettait in fine aux copropriétaires d’interdire le meublé de tourisme à la majorité simple des copropriétaires, avait été reconnue comme inconstitutionnelle au motif d’une violation de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen relatives aux conditions d'exercice du droit de propriété[1].

L’apport de la Loi Le Meur – L’article 6, 2° de la loi Le Meur entend cette fois permettre aux copropriétés d’interdire de façon générale et pérenne toute location de meublé de tourisme sur les locaux d’habitation constituant une résidence secondaire. 

Précisément, l’article 26, alinéas 5 et 6 de la loi du 10 juillet 1965 tel que modifié par l’article 6, 2° précité prévoit que :

« d) La modification du règlement de copropriété qui concerne l'interdiction de location des lots à usage d'habitation autres que ceux constituant une résidence principale, au sens de l'article 2 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, en meublés de tourisme au sens du I de l'article L. 324-1-1 du code du tourisme.

La modification prévue au d du présent article ne peut être décidée que dans les copropriétés dont le règlement interdit toute activité commerciale dans les lots qui ne sont pas spécifiquement à destination commerciale. »

Le nouvel article 26-1 de la loi du 10 juillet 1965 permet en outre à la copropriété de voter à la majorité simple des voix une résolution n’ayant pas recueilli les deux tiers des voix par application de l’article 26 précité mais ayant au moins recueilli le vote de la majorité des copropriétaires représentant un tiers des voix.

La question posée au Tribunal Judiciaire de Caen – Compte tenu de l’absence de sollicitation préalable du Conseil Constitutionnel pour avis concernant le nouvel article 6 ainsi modifié, une QPC a été soumise pour examen par devant le Tribunal Judiciaire de Caen en ces termes :

« En édictant les dispositions de l’article 26 de la loi n°65-557 du 10 juillet 1965, telles qu’issues de l’article 6 de la loi n° 2024-1039 du 19 novembre 2024, qui permettent à une majorité de copropriétaire de modifier le règlement de copropriété pour interdire la location des lots à usage d’habitation autres que ceux constituant une résidence principale en meublés de tourisme, le législateur a-t-il porté atteinte aux droits et libertés que la Constitution protège, en l’occurrence au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre, tels que garantis par les articles 2, 4 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ? ».

Par une ordonnance du 24 septembre 2025 (RG n°25/01990), le Tribunal Judiciaire de Caen ordonne la transmission de la question à la Cour de cassation.

 

II)              Les principales étapes de la présente QPC

Principe – Pour mémoire, la procédure en matière de question prioritaire de constitutionnalité est encadrée par les dispositions des articles 23 et suivants de l’Ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel. Celle-ci met en place un filtre assuré par le Tribunal Judiciaire puis par la Cour de cassation avant tout examen de la constitutionnalité de la disposition par le Conseil Constitutionnel.

Le filtre opéré par le Tribunal judiciaire – Dans un premier temps, l’article 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 dans sa rédaction issue de la loi organique n°2009-1523 du 10 décembre 2009 subordonne la transmission de la QPC à la Cour de cassation à l’appréciation par le Tribunal Judiciaire de trois conditions cumulatives :

1° La disposition contestée doit être applicable au litige ou à la procédure ou constituer le fondement des poursuites ;

2° La disposition contestée ne doit pas avoir été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et dispositifs d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances ;

3° La question ne doit pas être dépourvue de sérieux : il s’agit de d’apprécier sans porter d’appréciation sur le fond du véritable intérêt juridique de la question et, partant, de l’absence du caractère fantaisiste ou dilatoire de celle-ci[2].  

Ce n’est qu’à la réunion de ces trois conditions que le Tribunal Judiciaire transmet la question à la Cour de cassation avec les mémoires ou conclusions des parties dans les 8 jours du prononcé de l’ordonnance afin d’opérer un second filtrage.  

L’ordonnance de transmission du 24 septembre 2025 – Le Tribunal Judiciaire de Caen a précisément dû se prononcer sur les conditions précitées afin de motiver la transmission de la question à la Cour de cassation.

En l’espèce, le litige portant sur une contestation d’une résolution d’interdiction du meublé de tourisme portée au vote à la majorité de l’article 26, d) puis à la majorité simple de l’article 26-1 de la loi du 10 juillet 1965. Sans surprise, le Tribunal Judiciaire de Caen en a déduit l’applicabilité des dispositions contestées au litige, validant ainsi la condition 1°.  

De même, aucune décision du Conseil Constitutionnel ayant déclaré la constitutionnalité de ces dispositions, la condition 2° a été validée sans difficulté.

Enfin, le Tribunal Judiciaire de Caen a retenu que la QPC n’est pas dépourvue de caractère sérieux en écartant tout caractère fantaisiste et dilatoire de la procédure.

Précisément, le but dilatoire ne pouvait être retenu dès lors que la demanderesse avait tout intérêt à une annulation rapide de la résolution interdisant son activité locative.

Le caractère fantaisiste a ensuite été exclu au motif des discussions doctrinales citées dans le mémoire doutant de la constitutionnalité des dispositions contestées. A notamment été soulevée par le Tribunal Judiciaire de Caen la position doctrinale du professeur Charles GIJSBERS se demandant « si le législateur n’a pas franchi la ligne rouge constitutionnelle »[3].

Le filtre opéré par la Cour de cassation – Une fois transmise, la QPC devra faire l’objet d’une nouvelle appréciation par la Cour de cassation dont les modalités sont explicitées à l’article 23-4 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 dans sa rédaction issue de la loi organique n°2009-1523 du 10 décembre 2009.

A ce titre, l’article 23-4 impose à la Cour de cassation d’apprécier à nouveau les conditions 1° et 2° de l’article 23-2 précédemment soumises à l’analyse du Tribunal Judiciaire.

La condition 3° est toutefois modifiée, en imposant à la Cour de cassation de vérifier que :

-              La question posée est nouvelle ;

-              Ou que la question posée est sérieuse, et non simplement « dénuée du caractère sérieux ».

Ce n’est qu’à la réunion des conditions 1°, 2° et l’un des critères alternatifs de la condition 3° que la Cour de cassation va procéder à un renvoi de la QPC au Conseil constitutionnel en lui transmettant dans les 8 jours du prononcé les mémoires ou conclusions des parties. 

En tout état de cause, l’article 23-4 précité impose à la Cour de cassation de se prononcer dans un délai de 3 mois à la réception de la transmission. A défaut, si la Cour de cassation ne s'est pas prononcée dans les délais impartis, la question est transmise au Conseil constitutionnel par application de l’article 23-7 de l’ordonnance du 7 novembre 1958.

En 2012, le délai moyen de traitement par la Cour de cassation des QPC transmises en matière civile était estimé à 74 jours avec un délai minimum de 22 jours[4].

Le contrôle de constitutionnalité par le Conseil constitutionnel – Une fois la question transmise au Conseil Constitutionnel, ce dernier dispose d'un délai de 3 mois afin de se prononcer sur la constitutionalité de la disposition contestée en application de l’article 23-10 de l’ordonnance du 7 novembre 1958. Au 23 juillet 2023, le délai moyen de traitement d’une QPC est de 74 jours[5].

Au cours de cette période, l’article 23-8 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 impose au Conseil Constitutionnel d’aviser le Président de la République, le Premier ministre et les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat qui peuvent lui soumettre leurs observations respectives. De même, les parties soumettent contradictoirement leurs observations en vertu de l’article 23-10 précité.

L'appréciation du Conseil constitutionnel se fera donc à la lumière de ces observations et des mémoires ou conclusions des parties.

Les enjeux constitutionnels de la QPC – En l’espèce, la QPC interroge sur la constitutionnalité d’une violation du droit de propriété et de la liberté d’entreprendre garantis par les articles 2, 4 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui disposent respectivement :

« Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression. »

« La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi. »

« La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité. »

Le Conseil constitutionnel déduit notamment de l’article 4 une protection de la liberté d’entreprendre de toute restriction arbitraires ou abusives[6]. Celle-ci comprend notamment la liberté d’accéder à une profession ou une activité économique mais également la liberté dans l’exercice de ces dernières[7].

L’article 26 alinéa 5 et 6 de la loi du 10 juillet 1965 autorisant les copropriétés à interdire de manière pérenne le meublé de tourisme dans les résidences secondaires subordonne en conséquence l’exercice d’une activité économique à l’autorisation préalable de l’assemblée générale.

Pour mémoire, malgré l’objectif de sauvegarde de la diversité commerciale des quartiers, l’article 4 de la loi SRU du 13 décembre 2000 soumettant à une autorisation administrative tout changement de destination d’un local commercial ou artisanal entrainant une modification de la nature de l’activité portait une atteinte disproportionnée au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre[8].

De même, en dépit de l’objectif de lutte contre la pénurie de logement, le Conseil Constitutionnel avait considéré que portait une atteinte disproportionnée aux droits de chacun des copropriétaires l’article 19 de la loi ALUR offrant la possibilité à l’assemblée générale de décider à la majorité des voix de soumettre à son accord préalable une demande d’autorisation de changement d’usage[9]

En considération du précédent de la loi ALUR, le professeur Charles GIJSBERS et Pierre-Edouard LAGRAULET considèrent l’interdiction pérenne du meublé de tourisme votée à la majorité qualifiée ou à la majorité simple des voix comme une atteinte inédite à la liberté de jouissance des parties privatives et une disposition plus liberticide que l'article 19 de la Loi ALUR objet de la censure[10] respectivement.

En cas de transmission, le Conseil Constitutionnel devra alors trancher si les violations au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre garantis par les articles 2, 4 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ont été mises en balance de façon proportionnée avec un principe de même valeur juridique ou un motif d’intérêt général.

 

 

III)            L’incidence de l’ordonnance du 24 septembre 2025 pour les acteurs de la copropriété

Les échéances à retenir – Le sort de la loi Le Meur étant instable en l'état, il est plus que jamais impératif pour les divers acteurs des copropriétés de connaître du calendrier procédural de la présente QPC : 

Premier filtre du Tribunal Judiciaire de Caen

Ordonnance de transmission du 24 septembre 2025 : transmission du dossier entre le 25 et 2 octobre 2025

Deuxième filtre de la Cour de cassation

3 mois pour se prononcer à compter de la réception du dossier : Octobre à décembre 2025

En cas de transmission : décision finale du Conseil constitutionnel

3 mois pour se prononcer :

décembre 2025 à mars 2026

(selon la date du prononcée de la Cour de cassation et de transmission du dossier au Conseil Constitutionnel)


Il résulte de ce qui précède qu’une attention particulière des divers acteurs de la copropriété doit être adressée à la période allant d’octobre 2025 à mars 2026 avant toute décision d’interdiction du meublé de tourisme en application des dispositions contestées. 

Les enjeux de l’ordonnance pour le Syndic de copropriété – En sa qualité de gardien du règlement de copropriété, le Syndic de copropriété se doit d’apprécier avec prudence l'opportunité d'inscrire à l'ordre du jour une résolution de modification du règlement en vue d’interdire le meublé de tourisme en application de l'article 26, d).

Une adoption hâtive d'une telle résolution s'accompagnera d'un risque accru de contestation judiciaire à titre conservatoire dans l'attente de l'issu de la QPC garantissant un risque pour les deniers de la copropriété. Attendre le positionnement de la Cour de cassation et, le cas échéant, du Conseil constitutionnel permettrait au Syndicat des copropriétaires de se prémunir de tout risque d’erreur de majorité. 

Si toutefois le Syndic devait inscrire à l'ordre du jour une telle résolution, il convient d'éclairer les copropriétés des risques procéduraux afférents avant tout vote sur ce fondement en sa qualité de gardien du règlement de copropriété.

Il est donc préconisé au Conseil Syndical et au Syndic de copropriété de suivre avec intérêt l'avancée de la présente procédure, notamment de la transmission de la question au Conseil Constitutionnel avant toute tentative d'interdiction du meublé de tourisme par application de l'article 26, d). 

En tout état de cause, il conviendra à ces derniers de vérifier en amont l'éligibilité de la copropriété à la majorité réduite de l'article 26, d) précisément encadrée à l'article 26 alinéa 6[11] afin de préserver les intérêts des copropriétaires.

Les enjeux de l’ordonnance pour le loueur en meublé de tourisme dans une copropriété – Il va de soi que le loueur en meublé de tourisme doit porter toute son attention sur l’ordre du jour des Assemblées Générales suivant l’entrée en vigueur de la loi Le Meur le 21 novembre 2024.

Si une interdiction du meublé de tourisme devait être votée durant la présente procédure de QPC, la prudence requiert de contester à titre conservatoire la résolution votée en Assemblée Générale dans le délai légal de 2 mois : d’une part en vertu du débat constitutionnel en cours pouvant potentiellement aboutir à la censure de la disposition, et d’autre part de l’inobservation potentielle des conditions d’application de l’article 26, d) malheureusement trop souvent ignorées par le Syndic de copropriété et le Syndicat des copropriétaires[12].



[1] Cons. const., DC, 20 mars 2014, n° 2014-691, cons. 47.

[2] M. Guillaume, « QPC ; textes applicables et première décisions », Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 29, octobre 2010

[3] C. Gijsbers, « La loi « Le Meur » et la protection constitutionnelle du droit de propriété », RDI, 2025, p. 49

[4] J-.J. Urvoas, « Rapport d’information par la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république sur la question prioritaire de constitutionnalité », p. 29

[5] https://qpc360.conseil-constitutionnel.fr/qpc-chiffres-8

[6] Cons. const., DC, 16 janv. 1982, n°81-132, cons. 16.

[7] Cons. const., DC, 30 novembre 2012, n°2012-285, cons. 7.

[8] Cons. const., DC, 7 décembre 2000, n°2000-436, cons. 20.

[9] Cons. const., DC, 20 mars 2014, n° 2014-691, cons. 47.

[10] C. Gijsbers, préc., P.-E. Lagraulet, Droit de la coproprété et loi Le Meur, AJDI 2025, p. 103

[11] X. DEMEUZOY, « La clause d’interdiction du meublé de tourisme dans la copropriété issue de la loi Le Meur. », Village de la Justice, 30 avr. 2025

[12] Ibid



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