
Le syndicat des copropriétaires peut invoquer les dispositions du règlement de copropriété pour faire cesser les locations meublées touristiques dans son immeuble. L’analyse de la jurisprudence nous donne un éclairage sur cette démarche.
Le renforcement de l’arsenal réglementaire initié par la Ville de Paris rend impossible ou presque le fait pour un propriétaire d’un appartement de s’enrichir via AIRBNB plus de 120 jours par an.
En effet, rappelons de façon simplifiée la règle prévue par l’article L.631-7 du Code de la construction et de l’habitation pour Paris et les villes de plus de 200.000 habitants :
- La faculté de louer son logement sur AIRBNB 120 jours maximum en résidence principale ;
- L’interdiction absolue de louer sur AIRBNB sa résidence secondaire sauf si cette dernière constitue un local commercial.
Les plates-formes de type AIRBNB bloquent désormais les compteurs de location à 120 jours pour les résidences principales.
De même, l’immatriculation obligatoire des lots de copropriété permet désormais à la Ville de Paris de repérer de façon automatique les contrevenants qui continueraient de louer leur résidence secondaire sans disposer d’une commercialité du lot.
Pourtant, de nombreux propriétaires continuent de louer leur appartement en résidence secondaire sans limitation et ce, en violation des dispositions de l’article L.631-7 du Code de la construction.
Si les procédures sont actuellement gelées le temps de la décision attendue de la Cour de justice de l’union européenne attendue au mieux pour la fin de l’année 2019, il n’en demeure pas moins que le texte de l’article L.631-7 reste valable et que la Ville de Paris continue de poursuivre tous les contrevenants, aidée pour cela par une centaine d’agents assermentés sur le terrain.
Par ailleurs, de nombreuses copropriétés parisiennes ou de grandes villes souffrent des nuisances inhérentes aux locations AIRBNB (nuisances sonores, va et vient dans les parties communes, utilisation intempestive de l’ascenseur etc..).
Ainsi, mon cabinet est sollicité par des syndicats de copropriétaires représentés par leur conseil syndical et leur syndic soucieux de mettre fin aux violations de leur règlement de copropriété.
En effet, ces locations meublées touristiques peuvent être contraires à la destination et aux conditions de jouissance fixées par le règlement de copropriété de l’immeuble.
Si le propriétaire peut échapper aux sanctions fixées par le Code de la construction sur le changement d’usage, il n’en demeure pas moins qu’il doit répondre de son activité au regard des dispositions du règlement de copropriété et de la loi du 10 juillet 1965 et donc du syndicat des copropriétaires.
Cet article a pour objet de faire le point sur ce qui est autorisé ou non en copropriété au regard de la jurisprudence la plus récente rendue en février 2019 (1) et d’évoquer la marche à suivre pour toute copropriété qui souhaiterait mettre un terme aux locations meublées touristiques (2).
1. Le règlement de copropriété peut interdire une activité de location en meublé touristique.
L’article 9 de la loi du 10 juillet 1965 prévoit que chaque propriétaire dispose de ses parties privatives (…) sous la condition de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires, ni à la destination de l’immeuble.
Afin d’apprécier si un lot de copropriété peut faire l’objet de locations meublées touristiques, il convient de lire le règlement de copropriété et plus précisément la partie dédiée à la destination de l’immeuble et/ ou ses conditions de jouissance.
Il s’agit la d’apprécier l’affectation et la destination des lots par le règlement de copropriété.
Le règlement de copropriété peut prévoir l’interdiction des locations de courte durée (dans les anciens règlements de copropriété, on parle souvent d’interdiction du « commerce des garnis ») ou soumettre ces dernières à autorisation des copropriétaires.
Les règlements de copropriété prévoient généralement ce que l’on peut appeler une clause d’habitation bourgeoise simple ou exclusive.
En droit, la clause d'habitation bourgeoise désigne une clause d'un règlement de copropriété permettant au locataire d'utiliser les locaux privatifs pour l'habitation personnelle mais aussi pour l'exercice d'activités professionnelles libérales, à la différence de la clause d'habitation bourgeoise exclusive qui elle interdit purement et simplement toute activité professionnelle ou commerciale.
1- 1 Sur l’évolution de la jurisprudence en matière de meublé touristique en copropriété.
a. Jusqu’en 2013, une tolérance des juges pour les locations meublées touristiques en copropriété.
A l'origine, le juge avait tendance à valider l’interdiction de locations meublées dans un immeuble de grand standing où les copropriétaires, majoritairement occupants, avaient entendu se prémunir contre les va-et-vient. (Cass. Civ. 3ème, 26 Novembre 2003, n° 02-14.158).
A contrario, le Juge écartait tout principe d'interdiction érigé dans un règlement de copropriété dans un immeuble où il régnait déjà une certaine agitation, par exemple parce qu’étaient autorisées des activités commerciales ou libérales, ce qui impliquait que des personnes étrangères à la copropriété circulent d’ores et déjà dans l’immeuble.
La Cour de cassation a ainsi considéré, après avoir relevé que le règlement de copropriété autorisait expressément l’exercice d’une profession libérale, que la restriction n’était pas justifiée par la destination de l’immeuble (Cass. Civ. 3ème, 8 Juin 2011, n°10-15.891).
On note par la suite un durcissement de la jurisprudence sur la faculté d’ d’exercer en copropriété des locations meublées touristiques.
b. Depuis 2013, un durcissement de la jurisprudence pour les locations meublées touristiques.
Depuis quelques années, la Cour d'appel de Paris adopte une position beaucoup plus stricte à l’égard des locations meublés touristiques de courte durée en considérant qu’elles sont incompatibles avec l’esprit d’une clause d’habitation bourgeoise d’un règlement de copropriété, que cette habitation bourgeoise soit stricte ou non.
On peut observer dans deux arrêts cités par le Professeur Périnet-Marquet (Semaine Juridique Édition notariale et immobilière n°26 - 30 juin 2016), que la Cour d’appel ne se réfère plus à l’assimilation classique de location de courte durée et activité libérale (CA Paris, 11 Septembre 2013, n° 11/12572 et CA Paris, 21 Mai 2014, n°12/17679).
En effet, et comme l'observe l'auteur dans son analyse, la jurisprudence récente "considère que ces locations de courte durées sont incompatibles avec l'esprit de la clause d'habitation bourgeoise d'un règlement de copropriété, que cette habitation bourgeoise soit stricte ou non."
L’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 11 septembre 2013 (RG n°11/12572) :
Dans cet arrêt, le règlement de copropriété de l’immeuble était à usage mixte commercial et d’habitation, à savoir que les appartements ne pouvaient être occupés que bourgeoisement à l’exception des locaux commerciaux occupés commercialement.
La Cour d’appel a estimé que l’appartement, objet de l’action du syndicat des copropriétaires en violation du règlement de copropriété, était loué de façon meublée à titre professionnelle pour de courtes périodes et que ce mode de location était commercial, violant ainsi les dispositions du règlement de copropriété érigeant le principe d’interdiction d’activité commerciale dans les appartements.
Par cet arrêt la Cour confirmera le jugement du 9 juin 2011 du Tribunal de Grande Instance de Paris ayant dit que la location saisonnière n’était pas autorisée par le règlement de copropriété et violant la clause d’habitation bourgeoise et confirmera la condamnation du propriétaire à supprimer sous astreinte financière de 500 euros par jour d’infraction constatée sur le site.
L’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 21 mai 2014 (RG n°12/17679):
Dans cet arrêt, la Cour d’appel de Paris confirmera une décision du Tribunal de Grande instance de Paris du 3 juillet 2012 ayant condamné un propriétaire à cesser toute occupation de son meublé de tourisme sous astreinte de 250 euros par infraction constatée.
L’action du syndicat des copropriétaires reposait sur le fait que l’article 6 du règlement de copropriétaire disposait que les appartement ou locaux ne pouvaient être occupés que bourgeoisement à l’exception des locaux du rez-de-chaussée qui pourront être occupés commercialement. Le règlement autorisait par ailleurs l’exercice de professions libérales à titre de tolérance dans les appartements.
Afin de confirmer la position du Tribunal, la Cour estimera que le propriétaire devait respecter les dispositions du règlement de copropriété et que l’activité exercée était commerciale et non civile violant ainsi l’article 6 du règlement précité.
L’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 15 juin 2016 (RG n°15/18917) :
Comme on le constate, les magistrats font la part des choses entre une activité libérale autorisée de type médecin ou avocat avec celle liée à une activité dite hôtelière impliquant des va et vient dans l’immeuble à l’heure ou précisément les cabinets médicaux ferment et ou les copropriétaires rentrent à leur domicile et aspirent à la quiétude du voisinage.
Sur ce point, il est important de relever un arrêt rendu par la Cour d’appel de PARIS le 15 juin 2016 n°15/18917 et dans lequel elle a considéré que si la location meublée n’était pas en elle-même, « contraire à la destination bourgeoise d’un immeuble, le caractère commercial de la location de meublés touristiques la rendait incompatible avec une telle destination ».
Cet arrêt est intéressant car le règlement de copropriété autorisait le rez-de-chaussée et les 4 premiers étages de l’immeuble en occupation bourgeoise ou commerciale mais disposait que les étages 5, 6 et 7 devaient restés en nature de chambres ou appartements à l’exclusion formelle de toute occupation commerciale.
En l’espèce, les étages 5, 6 et 7 étaient utilisés par une SCI copropriétaire à des fins de locations meublées saisonnières.
La cour d’appel confirmera le Jugement rendu le 16 juin 2015 (RG n°12/11596) ayant interdit au propriétaire des lots de la SCI l’exercice de toute activité de location meublée saisonnière sous astreinte de 200 euros par jour outre une somme à payer de 5.220 euros au titre de la remise en état des parties communes et 4.000 euros au titre des frais de procédure.
Pour motiver sa décision, la Cour fera une lecture stricte du règlement de copropriété en rappelant que ce dernier est à destination bourgeoise exclusive pour les trois derniers étages. Par ailleurs, la SCI propriétaire devra succomber à 6.000 euros au titre des frais de procédure d’appel engagés par le syndicat des copropriétaires.
D’autres décisions de tribunaux de première instance illustrent cette tendance à sanctionner toute violation du règlement de copropriété (pour une illustration : TGI LYON, 10ème chambre, 9 février 2016 – RG n°13/10155).
Le jugement rendu par le Juge des référés du Tribunal de Grande Instance de CRETEIL du 7 septembre 2017 portant interdiction à un local commercial en rez-de-chaussée d’exercer une location meublée touristique :
Dans cette décision récente intéressante, un syndicat des copropriétaires a assigné une SCI propriétaire de lots commerciaux en rez-de-chaussée et dont le règlement de copropriétaire indiquait que le rez-de-chaussée est réservé à l’exercice d’activités commerciales, artisanales ou libérales.
Ce local en rez-de-chaussée était utilisé par une SCI aux fins de locations meublées touristiques.
Afin de faire cesser l’exercice de cette activité meublé touristique, le syndicat a assigné la SCI en référé en se fondant sur l’article 26 de la loi du 10 juillet 1965 et estimant que les lots commerciaux ont été transformés en locaux d’habitation et donnés à la location saisonnière par le biais de la plate-forme de location AIRBNB.
Le juge retiendra que la modification de la destination des lieux sans autorisation de l’assemblée générale est contraire aux articles 9 et 26 de la loi du 10 juillet 1965.
Dans ce contexte, le Juge condamnera sous astreinte de 100 euros par jour, la société à procéder aux travaux de remise en leur état et suppression de tous les aménagements visant à transformer ces locaux à usage d’habitation.
Il serait intéressant de savoir si cette décision a fait l’objet d’un appel.
Cette décision rappelle que certains magistrats peuvent avoir une lecture stricte des dispositions du règlement de copropriété mais encore de la loi du 10 juillet 1965 sur la définition donnée à une modification de la destination des lieux.
En effet, à ce jour, de très nombreux propriétaires investissent dans des locaux commerciaux en rez-de-chaussée afin de tenter d’échapper à la clause d’habitation bourgeoise. Une telle décision (isolée ?) du Tribunal ouvre la voie à de nombreux recours de syndicats des copropriétaires contre des locaux commerciaux transformés en AIRBNB.
L’arrêt de la Cour de cassation du 8 mars 2018 (RG n°14-15864) :
Plus récemment, et dans le prolongement des décisions précitées, la Cour de cassation a statué le 8 mars 2018, sur une question similaire.
C’est ainsi qu’elle a reconnu que la rotation de courtes périodes de location dans des « hôtels studios meublés » n’est pas compatible avec la destination d’un immeuble à usage d’habitation, avec possibilité d’usage mixte professionnel-habitation et à l’exclusion de toute activité commerciale, dès lors que le règlement de copropriété traduit une volonté de stabilité des occupants. Dans cet arrêt, la Haute Cour a clairement privilégié le caractère résidentiel de l’immeuble.
Conclusion :
La jurisprudence tend à qualifier l'activité de location meublée touristique comme contraire à la clause d'habitation bourgeoise stipulée au règlement de copropriété afin d’ordonner le retour à l’habitation sous astreinte financière.
Le Syndicat des copropriétaires dispose donc de précédents jurisprudentiels pour tenter de faire cesser des locations meublées touristiques de courte durée.
Attention, la jurisprudence offre des tempéraments.
Par exemple, dans un arrêt rendu le 13 décembre 2017, la Cour d’appel de PAU a indiqué que la location meublée de courte durée « pourrait difficilement être prohibée dans une zone touristique comme ANGLET ou de nombreux logements bourgeois sont loués à la semaine pendant l’été. »
2 - En l’absence d’interdiction spécifique dans le règlement de copropriété : Le fondement du trouble anormal de voisinage et le transfert du dossier pour constat d’infraction au bureau de la protection du logement de la Ville de Paris
2-1 Sur la démonstration (difficile) du trouble anormal de voisinage.
La théorie des troubles anormaux de voisinage, création prétorienne, met en œuvre une responsabilité sans faute nécessitant la preuve d’un lien de causalité entre un fait et une nuisance constitutive d’un trouble anormal.
Lorsque le trouble de voisinage émane d’un immeuble donné en location, sa victime peut en demander réparation au propriétaire.
Les juges n’ont pas hésité à appliquer cette théorie pour condamner des copropriétaires à l’égard du syndicat en raison du trouble généré par leurs locataires louant pour de courtes périodes.
Par un arrêt rendu le 11 mai 2017 (RG 16-14339), la Cour de cassation a estimé qu’un « syndicat des copropriétaires peut agir à l’encontre d’un copropriétaire sur le fondement d’un trouble anormal de voisinage. »
La Cour d’Appel de Paris a condamné les propriétaires d’un appartement à payer au syndicat la somme de 7.000 euros chacun à titre de dommages intérêts pour les troubles occasionnés par leurs locataires tels que des bruits nocturnes, des cris et galopades d’enfants ou encore le manque de soins et de considération pour les voisins (CA Paris, 21 Mai 2014).
Un autre arrêt a retenu, en outre, l’aggravation des charges de gardiennage comme constitutif d’un trouble anormal (CA Paris, 15 Juin 2016).
Toutefois, pour ce faire, le trouble doit être collectif, affecter l’immeuble et non un lot : C’est la solution qui a été retenue par la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 27 janvier 2010 (CA PARIS, RG n°08-24304).
Le préjudice est collectif lorsqu’il affecte les parties communes (couloirs, ascenseurs, escaliers), ce qui est souvent le cas en matière de meublés de tourisme où la diffusion du code d’entrée et les incessants va-et-vient ne font qu’augmenter le sentiment d’insécurité et les nuisances.
Cela dit, la preuve n’est pas des plus évidentes à établir car les séjours sont de courtes durées, une ou deux nuits la plupart du temps.
2-2 Sur la transmission du dossier au bureau de la protection du logement et de l’habitation de la Ville de Paris.
Si la clause du règlement de copropriété ne confère pas d’interdiction de louer son logement en meublé touristique ou encore que la preuve des nuisances ne peut être démontrée, il n’en demeure pas moins que l’infraction peut perdurer au niveau de la réglementation d’urbanisme.
Ainsi, le copropriétaire peut être en infraction, soit parce qu’il loue sa résidence principale plus de 120 jours, soit parce que ce logement constitue sa résidence secondaire et qu’il ne bénéficie pas d’une exception légale l’autorisant à la louer (par exemple en disposant de la commercialité).
Dans ce contexte, le syndicat a intérêt à intérêt à préserver ses droits en s’adjoignant un avocat puis en faisant constater au préalable l’annonce AIRBNB par un huissier.
Par la suite, l’avocat signalera cette location au bureau de la protection du logement et de l’habitation qui mènera une enquête afin d’établir ou non la régularité de cette location avec les dispositions de l’article L.631-7 du Code de la construction et de l’habitation.
Cette démarche a été rappelée dans un arrêt du 8 juin 2012 de la Cour d’appel de Paris (RG n°11-13256) où la juridiction avait ordonné à la suite d’un tel signalement du syndicat des copropriétaires, le retour à l’usage d’habitation des locaux loués sous astreinte de 1000 euros par jour de retard.
En cas d’infraction, une assignation de la Ville de Paris sera automatiquement transmise au propriétaire qui s’exposera à une amende maximum de 50.000,00 euros, outre une astreinte financière très lourde tant que le logement ne sera pas retourné à l’habitation.
Conclusion sur la marche à suivre pour le syndicat des copropriétaires pour tenter de mettre un terme aux locations meublées touristiques en copropriété :
- Faire constater par huissier de justice l’annonce AIRBNB afin de démontrer la preuve de la location meublée touristique et sa récurrence via les commentaires et la simulation de réservation de nuitées ;
- Transmettre via un avocat le dossier constitué au bureau de la protection du logement et de l’habitation de la Ville de Paris ;
- Suite au constat d’infraction diligenté par la Ville de Paris, adresser au nom du syndicat des copropriétaires un courrier d’avocat de mise en demeure de respecter la clause bourgeoise du règlement de copropriété en sollicitant sous 8 jours la preuve de la clôture du compte AIRBNB et le retour à l’habitation du lot ;
- A défaut de respect de l’injonction, ordonner le respect du règlement de copropriété et le retour à l’habitation sous astreinte financière via une assignation du syndicat dûment mandaté en AG à cette fin devant le Tribunal de Grande instance du lieu de situation de l’immeuble.